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La postérité de l’œuvre de Durkheim (1858-1917) cent ans après

 

La postérité d’une œuvre se mesure autant à ses prolongements qu’à ses échecs, aux fidélités suscitées qu’aux reniements proclamés, à l’orthodoxie de ses continuateurs qu’à leur dissidence. Sa vulgate, ses caricatures, ses contrefaçons et jusqu’à ses mutilations, volontaires ou non, en relèvent tout autant que ses interprétations les plus autorisées et les mieux fondées.

Une œuvre vaut sans doute autant par ses produits que par ses sous-produits, par ce qu’elle révèle que par ce qu’elle tait, par ce qu’elle dit que par ce qu’on lui (a) fait dire. À l’instar de tout produit de l’esprit, elle devient un monument que l’on visite librement et dont le visiteur n’est pas tenu de connaître les intentions de l’architecte ou de respecter les consignes du guide. Dans le domaine scientifique, c’est certainement plus vrai encore : les hypothèses qu’elle suscite sont parfois aussi importantes que les thèses qu’elle justifie ; les perspectives qu’elle ouvre plus ou moins implicitement, les imaginaires qu’elle stimule et jusqu’aux contresens qui en procèdent peuvent être autant de contributions à l’évolution des connaissances à venir, voire au progrès du savoir.

La fécondité d’une pensée tient donc aussi, et souvent plus, à sa descendance indirecte que directe, illégitime que légitime – tout comme ces rejetons non reconnus par leur géniteur ou leur famille mais qui s’en revendiquent et que, de toute façon, les généalogistes ont tôt fait d’identifier.

Examiner la postérité de l’œuvre de Durkheim (1858-1917) cent ans après la mort de son auteur, revient donc à prendre un moment distance avec les postures normatives et érudites qui prévalent légitimement dans le monde académique lorsqu’il s’agit de définir et d’évaluer les contenus et la portée d’une œuvre. Il s’agit donc moins de visiter une fois de plus l’œuvre d’un auteur afin d’en approfondir la connaissance « objective » que de faire un bilan de son influence sur la sociologie et ceux qui la font aujourd’hui.

Que doit notre discipline à l’œuvre de celui qui passe pour en être l’un des fondateurs ? Quels questionnements et quelles réponses nouvelles a-t-elle suscités ? Comment nous en sommes-nous emparés et avec quelles conséquences aux plans théorique, conceptuel et méthodologique ? Ses ambiguïtés, ses apories ou encore ses échecs ont-ils été dépassés, et comment ? Ont-ils, éventuellement, été féconds, stimulants ? Mais aussi, quelles évolutions a-t-elle inhibées, quels retards a-t-elle fait prendre à la sociologie française par rapport à ses homologues étrangères ? Qu’a-t-elle perdu ou acquis au cours de ses pérégrinations internationales, de ses exportations et de ses réimportations ? Bref, en quoi, comment – et pourquoi – la sociologie contemporaine est-elle redevable, pour le meilleur et aussi pour le moins bon, tant à l’œuvre scientifique de Durkheim qu’à ses orientations idéologiques, voire à ses formes de publicisation ou d’institutionnalisation ?

Voilà quelques-unes des questions dont nous proposons à nos collègues de s’emparer – soit en historiens et en spécialistes de l’œuvre durkheimienne, soit plus simplement en praticiens réflexifs de leur discipline dès lors qu’ils l’ont rencontrée au cours de leurs recherches dans leurs domaines propres, et quels que soient l’accueil et le sort qu’ils lui ont réservés. Sociologues, économistes, politistes, philosophes ou anthropologues, le périmètre thématique du programme de recherche durkheimien est assez large pour accueillir les représentants des diverses sciences sociales.

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